Radja Nainggolan, le dernier des Mohicans
Il
aurait presque l'air gentil...
Désormais
incontournable à l'A.S. Rome, d'abord sous les ordres de Rudi Garcia
puis de Luciano Spaletti, il affole le marché des transferts depuis
quelque temps déjà. Il ne serait pas impossible de le voir signer
dans une prestigieuse écurie européenne d'ici le 31 août prochain,
tout n'a pourtant pas toujours été aussi rose dans la vie d'El
Guerro. Récit.
Une
jeunesse ôtée
Ayant
vu le jour le 4 mai 1988 à Anvers, à quelques minutes de Riana, sa
sœur jumelle, qui par ailleurs occupe le poste d'attaquante dans la
section féminine du club Gialloroso; Radja Nainggolan n'aura pas
attendu longtemps pour "manger la poussière" selon ses
propres dires. En effet, son père les a abandonnés lors de leur
tendre enfance, laissant à leur mère la charge de deux enfants. Il
raconte, à propos de son premier séjour en Indonésie, pays de son
père, en 2013:"Il a essayé de reprendre contact avec moi.
Il me disait que s'il était parti, c'était dû à la volonté de
Dieu. Je ne crois pas en ces conneries. Essayer de se rapprocher du
fils que l'on a abandonné uniquement car il commence à se
faire un nom, c'est trop facile ça." Sa fervente
croyance en la non-existence d'un être suprême a atteint son
paroxysme une vingtaine d'années après que son père ait fait le
coup d'aller acheter des clopes et de ne jamais revenir; sa mère,
ayant travaillé jour et nuit en tant qu'assistante sociale pour
assurer au moins un repas par jour à ses deux enfants, est emportée
par le cancer en 2010, juste après qu'il ait signé son premier
contrat pro dans une équipe de première division, à Cagliari.
Un
parcours fait d'embûches
On
est en 2005, Radja a 16 ans et évolue dans le regretté club du
Germinal Beerschot Anvers, lorsqu'un agent suisse du nom de
Alessandro Beltrami le repère et arrive à le faire signer en Série
B, la deuxième division italienne, dans le modeste club de Piacenza,
qui pour la petite histoire a été dissout en 2012 (c'est à croire
que les clubs dans lesquels le Ninja passe ne résistent pas à son
envol). Néanmoins, il devra attendre sa majorité, une
évolution physique fulgurante ainsi que la venue du stratège
Stefano Pioli sur le banc du club pour débuter avec l'équipe
première. L'homme à la crête blonde a d'abord eu du mal avec
la vie tout seul loin de ses racines mais a, comme toujours dans sa
vie, persévéré et poussé de la fonte jusqu'à ce que le club
sarde ne le prenne en prêt en janvier 2010. Côté privé, il y
rencontrera celle qui fait encore battre son cœur aujourd'hui,
Claudia. Il y fera également l'acquisition d'une maison dans
laquelle il se rend dès qu'il a un peu de temps libre, pour donner
un peu d'air frais à son fils. Côté football en revanche, les
premiers mois sont difficiles sur les bords de la Méditerranée,
puisqu'après avoir été exclu lors de sa troisième apparition
alors qu'il venait d'entrer en jeu, il totalise un faible bilan de
216 minutes jouées au crépuscule de la saison, avec deux
titularisations encourageantes lors des deux dernières journées. Il
sait qu'il devra cravacher pour rentrer dans les plans de jeu du
futur entraîneur, Massimiliano Allegri s'étant envolé pour Milan
et un futur radieux. Malgré la valse des coachs (huit en quatre
saisons), un élément reste et s'aguerrit. Si bien qu'à l'hiver
2014, devenu trop grand pour le club insulaire, il envoie sur
les roses les géants anglais et s'engage en prêt pour six
mois à la Roma, avec indemnité de 3 millions d'euros+ 6 en cas
d'achat définitif. Ce qu'encore une fois le club mandataire ne tarda
pas à faire puisqu'il le signe dès l'été. "C'est
comme s'il avait fait la pré-saison avec nous!" confiait
peu après son arrivée son ancien coach Rudi Garcia, avant
d'ajouter:"C'est un joueur évoluant à un niveau de jeu
exceptionnel, je ne suis pas surpris de son intégration si rapide.
Il sait tout faire: voler la balle, la passer au sol ou en l'air, à
deux mètres ou à quarante." Les
connaisseurs du foot italien le plaçaient même à un niveau
d'efficacité égal à un Vidal ou un Pogba. Et
pourtant. Pourtant, ces éloges et la guerre sur tous les fronts, à
l'image d'un enfant qui ne veut pas partager son paquet de bonbons,
que le board de la Roma a livrée pour conserver son joyau, n'ont pas
convaincu l'entraîneur fédéral de l'emmener boire des cocktails et
se faire kidnapper sur la Copacabana.
Le
dégoût, puis l'explosion
C'est
peu dire que le Ninja est dégoûté d'apprendre sa non-sélection
pour la Coupe du Monde 2014. Il estimait, à 26 bougies soufflées,
qu'il avait les épaules pour ce genre d'épreuve, qu'il le méritait.
Et on se dit qu'avec lui au Brésil, les choses auraient pu être
tout autres. En faisant ça, Marc Wilmots a remis de l'essence dans
le réservoir de la Jeep tout-terrain, là où plusieurs mauvaises
langues prévoyaient un aller simple à la casse pour une vulgaire
Renault (n'oublions pas que Louis Renault a contribué à la course
aux armements de la Weirmarcht, l'armée d'Hitler, en fabriquant de
multiples véhicules de guerre au cours de la deuxième Guerre
Mondiale. Considéré comme collabo, il meurt en détention le 24
octobre 1944). Nainggolan revient sur les terrains plus
déterminé que jamais à briller, il est temps. Il montre à tout ce
beau monde ses capacités hors-norme à construire le jeu de son
équipe tout en détruisant celui de l'adversaire. Il
offre une voie royale à ses coéquipiers, qui ne manquent pas de le
louer, Szczesny à son propos récemment dans le très réputé
journal anglais FourFourTwo:"Il est né pour jouer en
Angleterre. Il est très fort, très physique. Il n'a peur de
personne et est déterminé à se battre corps et âme durant 90
minutes. Ajoutez à cela une habileté technique dépassant
l'entendement, et vous avez le transfert idéal pour une équipe de
Chelsea en pleine reconstruction. Si j'étais le manager du club, je
l'achèterais en un battement de cils." Alors
qu'il sort d'une grosse saison à 46 matchs, 7 goals, 1 assist, 13
cartes jaunes et une rouge toutes compétitions confondues, sa
réputation n'est plus à faire. Mais ce n'est pas là qu'il faut
regarder, l'implication de tous les instants dans le jeu offensif
romain est traduit par ses statistiques de passes, sur 1477 d'entre
elles, il en a réussies 85%, dont 71% étaient des passes vers
l'avant. Nul besoin de le rappeler, le malentendu brésilien est
enfoui six pieds sous terre et n'est pas prêt de ressusciter, il est
évident qu'un succès à l'Euro passe par la forme de notre
box-to-box tatoué. On se demande dès lors quelle suite il va donner
à cette carrière, à cette vie. La suite, c'est la légende
qu'il est en train d'écrire en lettres d'or, en dédiant chaque
duel, chaque frappe de balle, chaque goutte qui finira sur un maillot
trempé par le sens du sacrifice inhumain de ce guerrier, à
celle sans qui il ne serait pas l’homme qu’il est
aujourd'hui.
Gilles Cincinatis
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